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  le blog ogpresse

NOUVELLE VERTE

24 Mai 2008 Publié dans #nouvelles


LE SORCIER VERT

 

 Même les endroits les plus déshérités sous le ciel – comme la banlieue de la triste cité où j’habite- peuvent receler des gemmes dans leurs profondeurs, abriter des oasis de beauté, et réserver de sacrées surprises !

Le jardin de Miguel, par exemple.

Je connais l’existence de cet endroit caché depuis presque un mois. Le secret du jardinier, en revanche, je l’ai découvert avant-hier seulement. Une histoire incroyable, qui me laisse pantois… Heureusement, je la tiens d’une personne équilibrée et digne de foi, comme vous allez le voir. Sinon, il y a des chances pour que vous n’ayez jamais pu la lire, cette histoire que je me décide enfin à transcrire aujourd’hui.

 

A deux pâtés d’immeubles de mon appartement, au pied d’une barre de barre HLM de vingt étages, se trouve une petite impasse où s’alignent d’un côté des portes de garages rouillées. C’est derrière l’une d’elles que se dissimule le fameux jardin. Un espace de six mètres sur cinq à peine, mais il ouvre sur un autre monde.

Il n’y a plus de toit. Sitôt franchie la brèche laissée libre par la porte coulissante, aujourd’hui bloquée, on est on est aveuglé par la lumière. Elle tombe sur vous d’en haut comme d’une cataracte, d’un robinet géant, vous écrase les paupières, vous dégouline dans le cou … Lorsque vous rouvrez les yeux, vous découvrez à vos pieds un grand damier aux carreaux verts et bruns : de la terre véritable ! de l’herbe !

La plupart des habitants du quartier n’en n’ont jamais vu, comme tout ce qui pousse au milieu d’ailleurs : des légumes, des fruits, quelques fleurs… Quant à moi, après des lustres de consommation ininterrompue de boites de conserve, de sachets déshydratés, de contemplation de plantes en plastique, je ne vous dis pas quel bonheur c’est de pouvoir à nouveau regarder, toucher, goûter d’humbles produits de la terre tels que des radis, de minuscules salades, une ou deux groseilles !

Et tout ça, on le doit à Miguel, que tout le monde ici adore, même si personne ne sait d’où il vient.

Il faut dire qu’il n’hésite pas à faire profiter autrui des trésors qui naissent de ces gestes et procédés mystérieux, lointains, cabalistiques, qu’il accomplit devant les enfants ou les visiteurs. Il creuse, retourne le sol avec des instruments archaïques, jette quelque chose dedans, rebouche, racle, verse un peu d’eau deux fois par jour, et surtout, avec une patience infinie, il attend…

Miguel est un sorcier, un sorcier vert.

En blue-jean, en tenue de travail, en tailleur ou en costume, mais toujours avec un sac ou un panier à la main, on accourt de partout vers son jardin enchanté… Miguel ne refuse jamais de céder ce qu’il met tant de temps à faire naître du sol de son minuscule lopin de terre cerné par les tours, les barres, les rues et les échangeurs. Et en plus, il ne vend pas cher.

Qui est-il au juste ?

Personne ne sait d’où il vient et ce qu’il a faisait avant de s’établir ici. Quelles circonstances l’ont amené chez nous ? Comment a t-il découvert cette enclave de terrain inconnue de nous, les riverains, les habitants de longue date ?

Le peu qu’on sait, c’est qu’un jour, il y a quelques mois, le facteur lui a remis une carte postale expédiée d’un pays d’Amérique du Sud. Sur un arrière-plan de jungle ou de forêt vierge, on y voyait des groupes de paysans circulant parmi des soldats en armes…

Miguel, qui a le poil abondant et le teint cuivré, est-il originaire d’Amérique du Sud ? Un Indien ? A-t-il cultivé des substances illicites en Colombie ? En a-t-il consommé ? Autant de questions sans réponses.

Il y a aussi une anecdote que racontent les gosses, un truc comme ils les aiment : merveilleux, poétique et en même temps vaguement effrayant : il a des fleurs qui lui poussent sur le crâne – des espèces de pâquerettes – et il est obligé de se les raser… Alex, Marion, Béchir et une demi-douzaine de leurs copains jurent l’avoir surpris en train de se livrer à cette opération plus d’une fois.

On peut sourire. Je n’aurais moi-même pas éprouvé le besoin de rapporter cette histoire si Martina Ray, mon médecin et une femme en qui j’ai une absolue confiance, ne m’avait narré récemment l’histoire qui suit. Croyez-là ou pas. Mais rappelez-vous. Martina est quelqu’un de sérieux, avec la tête sur les épaules. Même si, pour une fois, comme il arrive aux meilleurs, elle semble avoir un peu perdu les pédales…

  " Cher ami, vous connaissez Olivia, l’assistante de mon collègue Lormond, le dentiste de l’immeuble Hendrix. Eh bien, figurez-vous que mardi, sur le coup de midi, alors que j’avais encore quelqu’un en consultation, elle sonne et débarque en trombe dans mon cabinet, tout essoufflée, et me glisse à l’oreille "  Docteur, venez vite ! Il est arrivé quelque chose au jardinier ! J’arrive de son jardin…Etendu par terre en travers des plantations ! Il ne bouge plus, sans doute un malaise… "

Ces mots m’ont fichu un coup au cœur : Miguel est plutôt d’une constitution robuste, il mène une vie salubre, à l’air libre ou presque…Le dernier auquel j’aurais songé pour un malaise. J’expédie mon patient, attrape ma trousse et, ni une ni deux, saute dans ma voiture.

Cinq minutes plus tard, je suis dans l’impasse. En pénétrant dans le jardin, je manque tomber à la renverse : une vraie jungle ! Où sont passés les carrés de salades et les rangs de fleurs si bien ordonnés dont j’ai l’habitude ? Tout a poussé dans tous les sens dans le réduit : on ne voit plus l’étroite allée, les murs sont entièrement recouverts d’un fouillis vert, des pousses et des rejets jaillissent partout sur le sol. Mais surtout, Miguel gît par terre au milieu de tout ça, à moitié enfoui sous la végétation…

Je suis auprès de lui en deux enjambées, m’agenouille et découvre avec consternation que, malgré la chaleur ambiante, lourde et oppressante, il porte une chemise épaisse dont le col est boutonné jusqu’en haut. Quelle idée ! pas étonnant, dans ces conditions, qu’il soit tombé comme une mouche !

Tandis que j’examine son visage, me demandant ce qui a bien pu se passer pour métamorphoser ainsi les lieux – l’étonnante vague de soleil et chaleur des journées précédentes ? – mes doigts qui déboutonnent son col plongent dans une toison douce et abondante : des poils. C’est du moins ce que je crois d’abord… J’approche mon stéthoscope et pose les yeux sur le triangle soyeux qui apparaît dans l’échancrure : il luit d’une drôle de couleur, un éclat vert… Je me penche pour mieux observer, explorant simultanément la zone du bout des doigts… Tout à coup la lumière se fait dans mon cerveau : ce ne sont pas des poils que je touche, c’est… une touffe d’herbe ! Il y a de l’herbe sur la poitrine de Miguel, de l’herbe qui pousse, humide et fraîche, drue ! …et aussi sur le dessus de ses poignets, le long de ses bras, au bas de ses jambes… !

Vous me connaissez : je ne suis pas du genre impressionnable. Eh bien là, je saute sur mes pieds comme une folle, fais demi-tour et m’enfuis à toute allure. J’abandonne le jardinier, son jardin maudit et le serment d’Hippocrate, moi, Martina Ray, médecin !

 

Une précision pour terminer, la dernière. Depuis cette visite de Martina, Miguel est introuvable. Il a disparu dans la nature, s’est fondu dans le paysage. Une espèce de deuxième évanouissement, si vous voulez. Mais cette fois ci définitif, j’en ai bien peur.

( Cette nouvelle n'a jamais encore été publiée)

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A
cELA Me fait penser à la gargouille vue à Pont l'Evêque ... avec sa tête aux poils verts...
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